[PROLONGATION]
Jusqu'au dimanche 27 juin, à l'occasion d'Osez les galeries
L’écart
Il y a d’un côté les faits et de l’autre les croyances, ou plutôt, il y a le monde d’une part et la pensée qu’on en a de l’autre. C’est sur cet écart que Blaise Adilon fabrique ses images.
Ce périmètre d’incertitude entre l’un et l’autre, la part d’invisible qui les unit et les désunit, mais qui les tient en otage l’un à l’autre, est ce que Blaise Adilon glisse subrepticement dans l’interstice : la part des anges.
Pixels
Au tout début des années 80, l’apprenti photographe court la campagne. Il a son boîtier bien en main mais celui-ci est vide car la pellicule, en ces temps d’argentique, est précieuse et coûteuse pour un débutant. Alors la lumière n’imprime pas la pellicule mais la rétine de l’apprenti.
Aujourd’hui, boîtier et rétine imprègnent le monde en 70 millions de pixels.
Effacement
« La figure de ce monde passe. » (Paul, 1 Corinthiens 7, 31). La photographie, l’histoire, l’algorithme souvent et la mémoire quelquefois tentent d’en retenir quelque chose. Mais ce sont des bribes qui peu à peu s’effacent car les flux succèdent aux flux et l’actualité à l’actualité… Alors, quand le monde s’estompe que reste t-il : un encombrement et des trous, une mémoire troublée.
L’histoire et sa mémoire
L’histoire a ses Azincourt, ses murs de Berlin, ses Tommie Smith au bras levé poing fermé, ses Nuremberg, ses Misérables, ses Divines Comédies, ses invisibles et ses théâtres d’opérations, ses frontières, ses lignes de démarcation… La mémoire elle, floute l’histoire. Elle n’en conserve que les saillies et il semble dès lors qu’il n’y ait rien entre ni au-delà. C’est dans ce creux, sur cette ligne de crête inversée entre adret et ubac, entre sens et non-sens, visible et invisible, image et intelligibilité que se tient en équilibre l’oeuvre de Blaise Adilon. C’est son interrogation première et son objet photographique.
Mémoires troublées
C’est à la fois le titre de l’exposition et celui de la plus récente des séries de Blaise Adilon (2020- 21). La série est dédiée à la ligne pointillée de l’histoire et à sa mémoire poreuse. C’est un antimonument bâti sur des images des années 37-40 du XXe siècle. La série montre ce qui échappe aux mots comme aux évènements car tout est vu « entre », au plus près, mais sans jamais être fixé : le tragique, l’effacement, la suggestion, le subjectif, l’instant qui s’efface, l’anonyme, les faits qui se troublent et les moments qui restent, charbonneux, et dont nous ignorons tout.
Quel est cette ombre de meunier ? Quels sont ces vagues bagnards qui rament ? Et cet Américain sous la douche ? Que sont-elles ces scènes, ces figures sinon les héroïnes d’une géopolitique oubliée… Elles sont nous, ces figures et, comme nous, elles sont promptes à être englouties.
Le monde relève t-il de la conviction ? De la preuve ? Ou du complot ?
Thierry Raspail, janvier 2021
The gap
There are facts and there are beliefs or, to put it another way, there is the world and then there are our thoughts about it. Blaise Adilon builds his images on the gap between the two.
That perimeter of uncertainty between the one and the other, the invisible component that unites them and divides them, while holding them hostage to each other, is what Blaise Adilon slips surreptitiously into the interstice.
Pixels
At the very beginning of the 80s, he roamed the countryside, camera in hand. But it was empty because film in those days was precious and expensive for a beginner. The light may not have registered on the film, but it did on the retina of the young learner. Today, camera and retina permeate the world in 70 million pixels.
Erasure
"For the fashion of this world passeth away." (1 Corinthians 7:31). Photographs, history, algorithms (often) and memory (sometimes) try to hold on to some of it. But they are fragments that gradually fade away, because flow succeeds flow and the present gives way to the present. So, when the world fades away, all that is left is congestion and gaps, a confused memory.
History and memory
History has its Agincourts, its Berlin Walls, its Tommie Smiths with raised arm and clenched fist, its Nurembergs, its Misérables, its Divine Comedies, its invisible figures, its theatres of operations, its frontiers, and its demarcation lines. But memory blurs history. It retains only the things that stick out and there seems to be nothing in between and nothing beyond. It is in this hollow, on this inverted ridge between the two sides of the valley, between sense and nonsense, the visible and the invisible, between image and intelligibility, that Blaise Adilon's work maintains a careful equilibrium. It is the site of his first interrogation and the subject of his photography.
Confused memories
This is both the title of the exhibition and that of Blaise Adilon's most recent series (2020-21). The series is about the dotted line of history and its porous memory. It is an anti-monument built on images from the years 1937-40. The series shows what is beyond words and events because everything is seen "in between", as close as possible, but never fixed: tragedy, erasure, suggestion, the subjective, the vanishing moment, anonymity, facts that become confused and the grimed over moments that remain and that we know nothing about.
What is this shadow of a miller? Who are these indistinct convicts rowing? And the American in the shower? What are these scenes, Who are these figures, if not the heroes of a long forgotten moment in geopolitics? They are us and, like us, they were soon swallowed up.
Is the world a matter of conviction? Of evidence? Or conspiracy?
T.R.
Translated by Jeremy Harrison