Guillaume Lebelle, le hasard et la nécessité
D'une première visite revient le souvenir d'un espace encombré tous azimuts de peinture dans un joyeux capharnaüm où le dessin et la couleur multiplient les jeux d'entrelacs, de doublons et d'échos. Comme si la peinture avait précédé l'installation du peintre et que sa tâche était sinon d'y mettre de l'ordre du moins d'en informer tout un monde d'images palimpsestes qui prennent sens au fil du temps, à l'usage de son regard, sans préalable aucun. L'art de Guillaume Lebelle est requis par quelque chose de tonique qui confère à son œuvre une rare vitalité. Une énergie qui trouve notamment son origine dans la liberté exemplaire de certains de ses aînés, comme Joan Mitchell, Sam Francis ou James Bishop, dont il a eu tout le loisir de se nourrir à l'époque où il a été découvert par Jean Fournier. Il y a du moins dans son travail une même rage expressive qui fait fi de toute doxa particulière pour laisser place au surgissement d'événements purement plastiques que l'artiste, s'il ne les anticipe pas, s'applique à établir dans des relations sensibles pour instruire ici un espace, là un rythme, là encore un silence. Guillaume Lebelle cultive l'art du hasard et de la nécessité. Il se laisse volontiers porter par les aléas du quotidien, attentif à tout ce qui fait signe, toujours prompt à y répliquer, à réagir aux situations qui s'offrent à lui. Comme s'il avait l'irrépressible besoin d'y trouver sa place. Visite-t-il une exposition ? Il ne peut résister à l'envie de vouloir marquer sa présence par une intervention, aussi bégnine soit-elle, en y introduisant un élément et en photographiant la situation ainsi créée. Le principe d'addition est au cœur même de sa démarche qu'il énonce au détour d'une conversation, sans l'avoir nullement prémédité, par une formule aussi lapidaire que : « Ça plus ça vaut mieux que ça et ça, pris indépendamment », signifiant par là qu'une œuvre s'informe toujours d'une somme, d'accumulation, de strates. Rapport à la mémoire, sans doute. Il en est ainsi pour celui qui découvre l'atelier du peintre pour la première fois. L'artiste - qui y dispose de grands espaces - travaille plusieurs œuvres en même temps dans un tel fourmillement qu'il n'est pas toujours évident d'y déceler leur degré d'avancement. D'autant qu'il n'est pas toujours facile de distinguer entre celles qui sont en cours et celles qui sont achevées, que certaines y sont en suspens depuis de longs mois, voire une ou deux années et que d'autres ne seront peut-être jamais abouties. Peu importe. L'artiste n'est pas comptable de quoi que ce soit. C'est qu'une fois de plus, vérification est faite que le luxe de la peinture est de prendre son temps et que celui du peintre est de lui donner le sien. Les peintures dessinées de Guillaume Lebelle - à moins qu'il ne s'agisse de dessins peints - s'offrent à voir comme les vecteurs d'une forme de vitalisme existentiel qui aspire à embrasser l'espace en tous sens. Elles actent une présence au monde, tout à la fois enjouée et panique, en conjuguant toutes sortes d'extrêmes, entre saturation et effraction, évasion et invasion, surface et profondeur.
Philippe Piguet Critique d'art et commissaire d'exposition, février 2018
Guillaume Lebelle, chance and necessity
My memory of a first visit to his studio is of a space spattered with paint in a wonderful chaos of drawing and colour, multiplying the interplay of tracery, duplicating it and creating echoes. As if the paint had been there before the painter moved in and his task was to bring order to it, or at least to inform it with a whole world of palimpsest images that would take on meaning over time as a result of having been subjected to his gaze, without any presuppositions. Guillaume Lebelle's art has something totally bracing about it that confers a rare vitality on his work. It is an energy that has its source in the exemplary freedom of some of his elders - artists such as Joan Mitchell, Sam Francis or James Bishop, from whom he had had ample time to find nourishment when he was discovered by Jean Fournier. In his work you find a similar expressive passion that spurns any particular theory in order to encourage the appearance of purely plastic events. These the artist, though he may not anticipate them, organises into sensitive relationships to fill a space, create a rhythm, or suggest a silence. Guillaume Lebelle cultivates the art of chance and necessity. He willingly allows himself to be carried along by the quirks and vagaries of daily life, attentive to anything that shows up, always ready to respond to it, to react to any situation that presents itself. As if he had an irrepressible need to find his own place in it. When he goes to an exhibition, he cannot resist the urge to mark his presence with a (friendly) intervention. He will introduce an extraneous element and photograph the situation it creates. The idea of addition is at the very heart of his practice. He once stated as much in the course of a conversation, in this totally unpremeditated, pithy remark : «This plus that is better than this and that taken independently», meaning that a work is always more than the sum of its parts, being informed by an accumulation of strata. Something to do with memory, no doubt. It is the same for anyone who discovers the painter's studio for the first time. It is a big space and the artist will be working on several works at the same time. There is so much going on that it is sometimes difficult to work out what stage of completion any of them might be at. Especially since it is not always easy to discern, among the works in progress and those that are finished, that some have been in abeyance for many months if not for a year or two, while others may never be completed. It matters little. The artist is not accountable to anybody for anything. The point, once again, is quite simply that the luxury of painting is that it can take its time, and the painter's luxury is to devote his time to painting. The drawn paintings of Guillaume Lebelle - or should one say the painted drawings - can be looked at as vectors of a form of existential vitality that aspires to embrace space in every direction. They record a presence in the world that is both genial and panic-inducing, one that combines extremes of all kinds, saturation and depredation, escapism and encroachment, surface and depth.
Philippe Piguet Art critic and curator
Translation, Jeremy Harrison